Alexeï Navalny ou le drame du regard occidental sur la Russie

Texte paru en 2021 dans Pages de gauche

Derrière le prétendu affrontement entre Poutine et Navanly se cache la tragédie politique, sociale et morale d’un pays qui, trente ans après la disparition du bloc soviétique, s’est engouffré dans le dysfonctionnement, la violence et l’autodestruction. En face, l’Europe se range derrière Nord Stream 2, rendant toute politique volontariste à l’encontre l’autocrate russe peu crédible, voire illusoire. Au milieu : Alexeï Navalny, surface de projection pour tous les vices et espoirs. Si les forces progressistes européennes veulent être un soutien à la société civile russe, elles doivent avant tout faire preuve de cohérence et d’intransigeance – et accepter ses propres biais face à la complexité du « dossier russe ».

Le drame du « western gaze » sur la Russie

C’est avec ahurissement, impuissance et un brin d’incrédulité que nous avons suivi dans les médias l’empoisonnement de Navalny, le combat pour le faire soigner en Allemagne, sa convalescence, puis son retour en Russie et, finalement, son emprisonnement. Mais c’est avec encore plus d’ahurissement qu’on a suivi le rétropédalage d’Amnesty qui a retiré à Navalny son statut de « prisonnier d’opinion ». Cet épisode – bien qu’anecdotique – traduit le malaise profond qu’une grande partie de la société civile occidentale a face à la « boite noire » de la politique russe. Cela est d’autant plus étonnant que la même société civile ne rechigne pas à adopter des postures bien plus fermes face à des situations bien plus floues. Alors que Poutine est au pouvoir depuis vingt ans, on ne semble toujours pas avoir intégré le fait que malgré une apparence occidentale de ses métropoles et une politique extérieure capable de faire rêver certains antiimpérialistes particulièrement naïfs, le pays est dans un état désastreux – socialement, économiquement, écologiquement. Mais le plus effarant, c’est que nous continuons à vouloir analyser sa politique comme s’il ne s’agissait que d’une « démocratie imparfaite » et non pas une autocratie basée sur la corruption et la répression. Nous « rêvons » collectivement une Russie qui n’existe pas – et renforçons ainsi, involontairement, son régime.

Navalny : ni saint, ni connard

Celui qui a failli rejoindre Boris Nemtsov et Anna Politkovskaïa sur la longue liste de victimes du régime Poutine fait régulièrement l’objet de discussions sur son positionnement sur l’échelle gauche-droite ou encore l’absence ou le contenu de son programme politique. Ces questionnements traduisent parfaitement la mécompréhension du rôle qu’il joue et du contexte politique dans lequel il se trouve : bien que fondamentales dans nos démocraties libérales, elles sont parfaitement secondaires dans un pays ou le fait de publier sur youtube des enquêtes sur la corruption (gigantesque) de l’appareil politique rend ennemi public numéro un.

Navalny est devenu ce qu’aucun autre « politicien d’opposition » n’a réussi jusqu’à présent : il est devenu dangereux pour le pouvoir. Non pas avec ses idées, mais avec sa capacité à trainer en lumière tout ce le régime souhaite garder à tout prix à l’ombre. Navalny fait partie de ceux qui préparent le terrain à un éventuel après-Poutine, bien qu’il soit difficile de l’imaginer. Pour cela, il mérite du respect et du soutien. En tant que politicien, il devra être analysé ultérieurement – quand il aura l’occasion d’endosser ce rôle dans une Russie différente. A condition que celle-ci puisse voir le jour.

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